Moi, ce que j’aime, ce sont les vieilles pierres. Celles qui racontent des histoires d’hommes et de femmes, bâtisseurs de châteaux ou d’église, de village ou de palais. Et ça tombe bien ! Sur la destination Mont Saint-Michel – Normandie, les vieilles pierres, ça nous connaît !
Chaque village a son histoire, parfois millénaire, avec ses églises ou ses donjons, ses « place du château » ou lieu-dit de « L’Abbaye ». Et si on partait à la découverte de ces traces du passé, depuis le Mont Saint-Michel jusqu’aux montagnes du Mortainais ? Et aujourd’hui, je vous propose de découvrir un petit coin de Normandie, caché dans ses vallées et derrières ses haies : l’abbaye cistercienne de Savigny !
Une abbaye plutôt bien … dissimulée
Pour arriver jusqu’à l’abbaye de Savigny-le-Vieux, on emprunte les petites routes sinueuses de campagne, à pied, à vélo ou en voiture. L’abbaye est située au sud de Saint-Hilaire-du-Harcouët, à 8km environ. Et quand on arrive finalement sur place, au détour d’un virage, l’Abbaye nous apparaît, en contrebas, ses murs s’élevant depuis un tapis d’herbe verte. On la surplombe et on descend vers elle : elle nous paraît presque irréelle.
Des vestiges en guise de ruines
L’Abbaye de Savigny était la plus importante de tout le Sud-Manche, bien plus que celle du Mont Saint-Michel pourtant mondialement connue aujourd’hui. Mais comment une abbaye d’un tel rayonnement s’est retrouvée ainsi alors que celle du Mont Saint-Michel est parvenue jusqu’à nous ?
La réponse ne tient qu’en deux mots et une date : La Révolution Française de 1789. Cette Révolution, ou plutôt ses conséquences en 1790, a transformé l’Abbaye du Mont Saint-Michel en prison (mais ce sera le sujet d’un autre article, si le cœur vous en dit) et celle de Savigny en carrière de pierre. Rachetée par un couple de Saint-Hilairiens, l’Abbaye sera vendue ensuite pierre après pierre aux locaux pour construire leurs maisons.
Arcisse de Caumont, le fondateur de la Société Française d’Archéologie, passe à Savigny et décide finalement d’acheter la porte romane en 1838, aujourd’hui baptisée « Porte Saint Louis », afin de la préserver des destructions et du pillage. Mais les pillages continuent sur le reste du monument, jusqu’à son classement sur la liste des monuments historiques en 1924 pour la porte, le réfectoire et l’église.
L’Abbaye de Savigny est alors sauvée ! Ou du moins, ce qu’il en reste …
L’Abbaye la plus grande de la région
Il est plutôt difficile de s’imaginer en allant sur place aujourd’hui à quel point cette abbaye pouvait être importante, quand on se retrouve face à de tels vestiges. Et pourtant, ne serait-ce que pour tenir la comparaison, elle a accueilli jusqu’à 120 moines alors que celle du Mont Saint-Michel n’a guère dépassé les 60.
Au commencement, Saint Vital
On retient en général l’année 1112 comme année de fondation de l’abbaye de Savigny. Son fondateur, Vital, a obtenu ses terres du comtes Raoul de Fougères afin qu’il puisse y installer sa communauté de fidèles. En effet, Vital était installé dans la forêt de Fougères et lui et ses fidèles effrayaient le gibier du comte ! Ainsi installés, le comte Raoul pouvait continuer à chasser sur ses terres en toute quiétude.
Monastère masculin, on construisit par la suite, à Mortain, le prieuré de la Blanche (aujourd’hui Abbaye Blanche, encore un autre sujet intéressant à vous raconter) pour y accueillir des femmes, sous l’autorité de Adeline, sœur de Vital.
Un rayonnement outre manche
Au fil des années et des siècles, l’abbaye de Savigny, rattachée à l’ordre cistercien, va rayonner en Normandie, mais surtout outre-manche, en Angleterre, où Vital avait été prédicateur. Forte de son succès, l’abbaye fonda en 35 ans 35 abbayes-filles, qui elles même eurent des filles. On ne compte pas moins de 75 abbayes filles et petites filles affiliées à Savigny, sans compter les prieurés et petites maisons.
Prieuré ou abbaye ?
Le prieuré et l’abbaye sont tous deux des monastères : des lieux de vie et de culte pour des moines et moniales, qui vivent selon une règle monastique. A Savigny, c’est la règle de Saint-Benoît qui est respectée. Cependant, si une abbaye est indépendante, le prieuré dépend d’une abbaye. Ainsi, le prieuré de Mortain dépendait de l’abbaye de Savigny avant de devenir à son tour une abbaye.
L’abbaye va prendre son essor, géographiquement et aussi spirituellement, de manière continue jusqu’à la Révolution Française, par laquelle elle entamera son déclin.
D’abbaye à carrière de pierre
En 1790 en France, un an après la prise de la Bastille, les membres du clergé doivent signer un document nommé « La constitution civile du clergé ». Ce document invite les membres du clergé, prêtres, moines, abbés, évêques, etc. à prêter serment d’abord à la Nation et ensuite à Dieu, afin de réorganiser le clergé français. En cas de refus de signer, les plus chanceux seront simplement exilés et emprisonnés comme prêtres réfractaires, les autres pouvaient perdre tout simplement la tête.
Mais revenons à l’abbaye de Savigny que nous avons laissée prospère, ou du moins entière, jusqu’à la Révolution Française. Comme tous les autres monastères, les moines sont priés de quitter les lieux. De là, les locaux s’adonnent au pillage. Ils brûlent, détruisent ou volent ce qui se trouve dans l’abbaye ! Finalement, en décembre 1791, un couple de Saint-Hilairiens, les Porphyres-Jacquemont, rachète l’abbaye et ils décident de la transformer en … carrière de pierre !
En 50 ans, l’abbaye n’est plus que ruines. On a revendu les plus belles pierres, on a déplacé des portes ou des arcades entières pour les remonter plus loin, réinstallé du mobilier, des gisants, des reliques.
Il faudra alors attendre 1838 et l’intervention de Arcisse de Caumont pour envisager le sauvetage de cette abbaye, mais le mal a déjà été fait.
Un héritage savignien de par le monde
C’est vrai qu’aujourd’hui, il est difficile de s’imaginer la grandeur de cette abbaye, son essor, ses trésors ou son rayonnement. Mais Savigny n’a pas totalement disparu à qui sait chercher.
Les filles de Savigny
Le rayonnement de cette abbaye a été tel que de nombreuses abbayes savigniennes, notamment en Angleterre, sont des filles ou des petites filles de l’abbaye mère, Savigny.
Pour la plus proche, l’Abbaye Blanche de Mortain est la première née de Savigny, mais s’en suivent d’autres abbayes plus prestigieuses et plus connues dans l’Histoire avec un grand H. Comme celle de Port Royal, à proximité de Paris, en plein cœur d’un scandale politique et religieux sous Louis XIV, désormais en ruines mais abritant un musée ; ou l’abbaye des Vaux de Cernay, fille directe de Savigny et mère de Port Royal, accueillant aujourd’hui un hôtel.
Abbaye Blanche de Mortain Abbaye Port Royal des Champs Abbaye des Vaux de Cernay
En 1147, ces abbayes changent d’ordre et rejoignent l’ordre de Cîteaux, un des ordres les plus répandu au Moyen-Âge, dont l’ordre savignien est très similaire. Et la croissance devient exponentielle : ces filles et petites filles, alors cisterciennes, s’étendent à leur tour jusqu’en 1308 !
Des meubles et éléments dissimulés
Pour ceux qui ont l’âme de Sherlock Holmes, qui aiment chercher et remonter les pistes, il est possible de partir à la recherche des éléments de l’abbaye de Savigny dans les environs.
Sans partir très loin, direction le bourg de la petite commune de Savigny-le-Vieux, où trône dans son centre bourg, au pied de l’église paroissiale, l’obélisque qui se trouvait autrefois en plein cœur du cloître. Et si vous tombez sur un jour de chance où l’église est ouverte, vous pourrez admirer les stalles de l’abbatiale (chaises du chœur), le gisant de l’abbé Leverrier et le tombeau mausolée de Saint-Vital.
Au château des Louvellières, sur la commune du Teilleul, la bâtisse a ainsi hérité de plusieurs arcades de l’abbaye de Savigny ainsi que de l’entrée de l’abbatiale côté cloître des moines de chœur.
Attention : Le château des Louvellières est une propriété privée, il n’est pas possible de le visiter.
Et pour le reste ?
On retrouve des traces de Savigny un peu partout autour du site, dans les communes alentours.
A Mortain-Bocage par exemple, dans la collégiale, se trouve l’autel de marbre tricolore qui se trouvait dans l’abbatiale ; l’orgue et son buffet sont désormais à la cathédrale de Coutances, tout comme la grille du chœur ; à Mayenne et Ernée, on peut voir les autels du transept de Savigny ; dans l’église de Moulines, c’est la chaire du réfectoire qui a été réinstallée dans l’église paroissiale.
Et bien sûr, il n’y a pas une maison construite dans les environs au XIXe siècle qui ne possède pas une pierre issue de cette abbaye devenue carrière. Après tout à Savigny, comme partout ailleurs, on peut citer la célèbre maxime de Antoine Lavoisier : « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme »
Envie de visiter l’Abbaye de Savigny, d’en connaître tous ses secrets ? Vous pouvez contacter Myriam Bierjon, Amélie Saint-James, Marie Anfray ou Gaëlle Lotton, nos guides conférencières spécialistes du sujet !