Devant mon sac de voyage, les doutes m’étreignent… Mais quelle idée saugrenue d’avoir suggéré à une amie une traversée de la baie du Mont-Saint-Michel à pied, de nuit…
J-1 : entre doutes et excitation…
La perspective de me retrouver de nuit et pieds nus dans la baie où les pèlerins d’antan se faisaient piéger dans les sables mouvants fait monter en moi une légère appréhension…
Mais les réservations sont prises, impossible de reculer. Je ferme mon sac dans lequel j’ai soigneusement préparé une polaire, un pantacourt et un coupe vent.
H-1 : Monseigneur le Mont, nous voilà !
Une fois la voiture garée, nous décidons une approche en douceur et dédaignons les bus (pourtant gratuits !) pour rejoindre à pied le point de rendez-vous.
Fier d’avoir rendu au Mont-Saint Michel son statut insulaire, le pont-passerelle semble lui faire une révérence par sa courbe harmonieuse. Lucile et moi admirons la si célèbre silhouette et nous nous émerveillons des détails qui se dessinent au fur et à mesure de notre approche.
Heure H : Rendez-vous à l’entrée des Fanils
Autour de notre guide se forme notre petit groupe, composé de personnes de tous âges et conditions physiques. L’un d’entre eux, retraité très blagueur, a même des bâtons de marche pour soulager ses hanches.
Notre guide nous met à l’aise en nous souhaitant la bienvenue et nous indique les quelques consignes de sécurité.
H+5 min : c’est parti !
Nous voilà lancé, premier contact de nos pieds avec l’estran… d’abord vase, puis sable dense et humide. Des petits coquillages nous chatouillent, sans nous blesser.
Nous longeons le mont et découvrons ses remparts vertigineux. Le soleil descend vers les polders, le ciel se teinte de rose et d’orangé. L’atmosphère est incroyable, ravissement et fascination se lisent sur nos visages.
Halte sur le flanc de notre compagnon immobile
Notre guide nous dresse un rapide récit de sa construction et de ses légendes… La fontaine devant nous est désormais tarie, mais nous retenons qu’elle a été cruciale pour les moines d’avant l’an 1000.
C’est reparti ! sous nos pieds le sable se plisse, les vaguelettes s’y sont imprimées, le vent nous enveloppe avec douceur, une sensation de liberté s’empare de nous. L’horizon est sans fin, nous nous sentons minuscules au centre de cette immense baie.
2nd halte au dos du Mont, devant la face habituellement cachée. Les remparts de l’abbaye émergent d’un bois dont nous ne soupçonnions même pas l’existence.
Notre guide détaille la géographie de la baie et le phénomène des marées, à qui les travaux récents ont rendu leur puissance.
Nous écoutons ébahis le chant silencieux de la baie… Soudain, les cloches de l’abbaye sonnent dans l’immensité, un moment simple et magique…
Nous reprenons notre marche, aucune fatigue ne se fait sentir, nos pas s’enchainent, la lumière décline. Lucile et moi savourons ce bol d’air qui nous donne le rose aux joues.
Les sables mouvants tant attendus !
A l’approche d’une rivière, notre guide nous explique le mécanisme des sables mouvants. Il nous incite à nous placer tous ensemble sur une zone précise afin de la piétiner. Nos éclats de rires se transforment en exclamations étonnées quand la croute se fendille ! Nos pieds s’enfoncent : nous avons créé notre sable mouvant !
Nous piétinons encore et nos jambes sont aspirées. Suivant les conseils de notre guide, nous posons un genou sur la surface et extirpons notre seconde jambe… non sans quelques efforts.
Puis, nous entamons la traversée de la rivière, l’eau est fraiche mais supportable. Des poissons descendent la rivière à toute vitesse, ils nous frôlent provoquant de nouveaux rires et cris, quelle aventure !
Un levé de lune surnaturel
Sables mouvants et collisions avec les poissons ont détournés notre attention, le calme revenu, nous semblons découvrir l’apparition de la lune.
Une lune rousse, énorme, exceptionnelle, nous fixe de son oeil orangé. Nous restons sans voix, totalement ébahis. Son ascension est rapide, impérieuse. Nous n’en détachons notre regard en reprenant notre marche.
En 20 minutes, elle a perdu sa couleur sanguine et son reflet argenté nous éclaire désormais.
Nous approchons de Tombelaine, rendu à son état sauvage par la jalousie de Louis XIV, qui en fit détruire le fort appartenant au surintendant Fouquet.
Nous contournons l’ilot de granit qui abrite des oiseaux marins et un couple de faucons.
Retour vers le mont
Nous repartons vers le Mont Saint Michel, la lune fait luire ses toits d’ardoises et l’archange accroche ses rayons.
Le retour est silencieux, notre groupe semble perdu dans la contemplation de notre compagnon immobile. Le cœur serré par la fin de cette aventure, chacun profite de ses instants d’exception dans cette baie.
De retour à l’entrée des Fanils, notre guide nous donne un dernier conseil : monter vers la tour Gabriel pour admirer la marée montante et le mascaret.
Cette expérience au contact des éléments d’une des plus belles baies du monde a été incroyable.
Cette nuit restera gravée dans nos esprits !